Rencontres sur le marché d'Ozon

Le quartier d'Ozon est ce que certains appelle "le quartier à risques" de Châtellerault. En gros c'est là qu'habite la majorité de la population d'origine magrébine de Châtellerault. Le mercredi dans ce quartier, c'est jour de marché. Quand j'étais au lycée, j'aimais y venir avec des amis après le déjeuner en attendant la reprise des cours. Certes, ça commence à faire un moment et le quartier a évolué. Mais le marché lui est toujours là et n'a pas changé d'un iota. Beaucoup de commerçants de fruits et légumes qui sentent le soleil, d'olives marinées de toutes les façons, de viande hallal, de djellabas, de mains de Fatima, de Coran, ... Il fait beau, il y a de bonnes odeurs, les personnes se saluent, s'invectivent essentiellement en arabe. Au milieu de ce marché, on se croirait presque en vacances.

Mais vous le savez certainement, du moins je l'espère, nous sommes en période électorale. La réalité me rattrape par ce biais et je dois dire que la série de rencontres faites au cours de ce marché était assez amusante.

Première recontre : Jean-Pierre Abelin, un candidat pas dans son élément.

Le premier que j'aperçois est le candidat de l'UDI. C'est le maire actuel de Châtellerault. Il perpétue la tradition familiale. Son père et sa mère ont été maire de la ville avant lui. Certaines mauvaises langues pourraient dire qu'il espère que sa fille prendra un jour sa suite à la tête de la commune.

Bon, on ne va se mentir, il n'est pas révolutionnaire pour un sou. Il est issu d'une riche famille centriste (son père a été président de la Compagnie des chemins de fer franco-éthiopiens). Ca n'aide pas à faire la révolution ! Mais, on ne peut pas dire qu'il soit non plus un mauvais maire. Il a fait pas mal de choses pour Châtellerault : la rénovation du théâtre à l'italienne dans le centre, l'aménagement de places, du site de l'ancien hôpital, la rénovation du quartier Ozon, ... Il se débrouille. Si je me souviens bien, il s'était même encanaillé à venir soutenir des ouvriers en lutte quand des entreprises châtelleraudaises étaient en crise. En gros, il fait le job.

Mais là, on sent qu'il n'est pas dans son élément. Quelques personnes qui le connaissent viennent lui serrer la main. Il discute avec ses acolytes qui distribuent timidement des tracts et des invitations à son meeting. Mais, les personnes ne sont pas franchement attirées par ce personnage qui ne doit venir les voir qu'en cas d'inauguration ou de campagne.

A un moment pourtant, on le sent surpris. L'objet de sa surprise : l'arrivée d'une nouvelle troupe. Mais qui donc peut bien surprendre ce candidat qui connaît tous les visages du milieu politique et associatif châtelleraudais.

Deuxième rencontre : l'Association du Front de Gauche Châtelleraudais, des militants informant sur les dangers du Front National.

Un drapeau, sept militants qui se répartissent dans l'allée centrale du marché, un paquet de tracts. L'objet de la surprise du maire débarque. La jeune Association du Front de Gauche Châtelleraudais fait sa première sortie à l'occasion des municipales. Ils n'ont pas de liste, n'en soutiennent officiellement aucune, surtout pas celle du candidat PS dans laquelle une composante du FDG a envoyé des représentants. Ils ont réalisé un tract prévenant des dangers que représente le FN quand une liste bleue marine s'est déclarée à Châtellerault et viennent le distribuer.

Au son des "Informez-vous", ils vont à la rencontre de la population. Ils échangent des points de vue avec les passants. Le FN est le principal sujet de discussion bien sûr mais pas le seul. Ca discute des problèmes du chômage, des retraites, de la politique nationale actuelle, ... Certains expriment même le regret qu'il n'y ait pas eu de liste FDG de présentée à Châtellerault. On sent un réel intérêt autour de leur action et de manière plus générale de leur mouvement.

Jean-Pierre Abelin prenant son courage à deux mains vient les saluer. Un rapide bonjour, avant de quitter les lieux, le temps de récupérer un tract. Il pourra ainsi assouvir sa curiosité et comprendre le sens de leur action. Il laisse derrière lui un distributeur qui se ne sait trop comment se positionner.

Peu de temps après, une autre liste fait son arrivée.

Troisième rencontre : les représentants de la liste Lutte Ouvrière, la liste de gauche de Châtellerault.

Des représentants de la liste Lutte Ouvrière arrivent sur le marché. Ils croisent les militants de l'association du FDG Châtelleraudais. On sent une certaine surprise à les voir ici mener une action. La surprise passée et tout le monde se connaissant, on se salue, on échange quelques palabres, on échange aussi des tracts, on se souhaite bon courage. Ils vont ensuite s'installer un peu plus loin et commencer leur propre distribution. Eux sont en campagne. Ils sont aux côtés de Patrice Villeret, célèbre figure locale des luttes ouvrières (résumé de sa réunion d'information ici).

Ils sont aussi bien accueillis par la population locale. Les idées plaisent, interpellent sur la montée du chômage, les dangers du capitalisme et du FN, ... Ils n'ont pas de prétentions immenses comme leurs opposants. Ils veulent faire entendre la voix des travailleurs. Ils tapent dans le mille dans ce quartier populaire et ouvrier.

Une cohabitation cordiale et fraternelle s'installe entre les deux groupes de distributeurs. Mais voilà qu'une nouvelle personne arrive.

Quatrième rencontre : Michel Guérin, un candidat à l'attitude étrange.

Michel Guérin arrive seul par une allée du marché. Lui représente le PS. Il a fait une liste avec le PC, le PRG et EELV. Il se dit de gauche mais ne désespérons pas, il sera comme le gouvernement actuel : à droite. Comme il l'explique dans une de ses vidéos de présentations, il va falloir faire des sacrifices dans les frais de fonctionnement pour continuer à dynamiser la ville. Il faudra quand même m'expliquer ce concept qui me paraît assez particulier. Il bâtit son programme essentiellement autour de l'ancienne école de gendarmerie qu'il voudrait rénover et utiliser pour "dynamiser" le quartier. Lui qui reproche à Jean-Pierre Abelin d'avoir dépensé l'argent public à tort et à travers, je lui souhaite bon courage pour justifier les dépenses qu'il va engager.

Enfin, revenons à notre marché. Le candidat est venu seul. En franc-tireur. Il passe rapidement dans le groupe LO qu'il connaît sans forcément avoir plus d'affinités avec eux. Par contre, il s'arrête plus longuement saluer le groupe de militants de l'Association du FDG Châtelleraudais. Il en connaît certains qui sont de ses colistiers. Il discute. Il se montre en compagnie d'une opposition locale.

Au bout d'un moment, il quitte les distributeurs pour, selon ses mots, "serrez des pognes". Et le voilà parti dans une opération de séduction. Il s'arrête au premier marchand, le salue, discute avec lui. Il reprend son chemin, s'arrête deux commerçants plus loin et recommence... Une chose m'interpelle quand même. Je décide donc de le suivre à distance pour voir qui il salue dans son manège. Le tour du marché a été vite fini. Le candidat à la mairie ne s'est arrêté que sur les stands où les commerçants étaient blancs. Les autres, il ne s'est pas arrêté. Alors vous pouvez comprendre la rapidité du bain de foule. Une dernière discussion avec un châtelleraudais et il s'en va.

Cinquième rencontre : des rencontres inattendues.

Au fond du marché, j'ai remarqué deux petits portants à roulettes. Les représentants de Dieu sont aussi présents. Mais même là, on a plusieurs listes. Une qui dit avoir la vérité sur le commencement de tout et une autre qui dit distribuer généreusement la lumière divine. Ils dénotent un peu dans ce marché à l'ambiance particulière.

Je croise aussi un autre homme qui me présente la théorie d'un complot sioniste mondial. Rendez-vous compte que d'après lui Hitler, le malheureusement connu, était un sioniste. Même la grande bibliothèque musulmane a été infiltrée. Mais un jour, des vrais musulmans viendront nous délivrer de leur emprise. J'hésite entre l'inquiétude et la crise de rire.

Un marché que j'ai fini en compagnie des militants de l'Association FDG Châtelleraudaise au bar le Camus. Je les ai quitté en leur souhaitant bon courage pour la suite de leurs actions.